Au cours des deux dernières décennies, on a assisté à l’émergence et à la généralisation d’activités qui reconnaissent et soutiennent la neurodiversité dans la société (Gottardello et al., 2025). La notion de neurodiversité, introduite par dans la littérature scientifique dans les années 1990, renvoie à la diversité des modes de fonctionnement du cerveau humain (Botha et al., 2024). Elle englobe une pluralité de façons de penser, d’apprendre et d’interagir avec autrui (Kersten et al., 2025; Bruyère & Colella, 2022 ; Honeybourne, 2019). Ce concept propose de considérer les variations neurologiques telles que l’autisme, le TDAH, la dyslexie ou l’hyperactivité comme des différences humaines à part entière, et non comme des troubles à corriger. Dans cette perspective, un nombre croissant de conditions neuropsychologiques, comme l’autisme ou le trouble bipolaire, sont désormais envisagées comme des manières singulières d’être au monde, plutôt que comme des pathologies à normaliser (Branicki et al., 2024). Dans plusieurs recherches, les personnes ayant certaines conditions de santé mentale permanentes ou transitoires ou des personnes ayant une maladie ou des blessures neurologiques, comme un traumatisme crânien, sont aussi considérées comme neurodivergentes (Doyle, 2020). La neurodiversité s’inscrit ainsi dans une approche qui refuse de hiérarchiser les fonctionnements cognitifs, en reconnaissant que chaque profil possède ses propres forces et défis. Elle invite à repenser la notion de normalité en valorisant l’inclusion et l’adaptation aux particularités individuelles, plutôt que la pathologisation des différences neurocognitives. Cette vision ouvre la voie à une société plus équitable, où la diversité neurologique est perçue comme une richesse plutôt qu’un écart à corriger (Gottardello et al., 2025; Ballesteros-Leiva & St-Onge, 2024).

La reconnaissance de la neurodiversité soulève aujourd’hui des enjeux majeurs dans plusieurs sphères de la société. Dans le monde du travail, les personnes neurodivergentes continuent de faire face à des taux de chômage et de sous-emploi supérieurs à la moyenne, ce qui révèle des obstacles persistants à l’embauche, à l’intégration et au maintien en emploi (Martin, & Lanovaz, 2023; Bruyère & Colella, 2022). Pourtant, certaines organisations innovantes montrent qu’en mettant en place des aménagements adaptés et en reconnaissant pleinement la singularité de ces personnes, il est possible de bénéficier de leur contribution précieuse, souvent marquée par la créativité, la rigueur ou une pensée originale (Austin et Pisano, 2017; Khayatzadeh-Mahani et al., 2020). Dans le domaine de l’éducation, la volonté de construire une école inclusive exige une transformation majeure des pratiques pédagogiques (Hedley et al., 2019). Il devient nécessaire de mieux répondre aux besoins des élèves neuroatypiques, qu’ils ou elles soient autistes, dyslexiques ou porteurs de TDAH, en adaptant les méthodes d’enseignement, les outils didactiques et les environnements d’apprentissage. Sur le plan juridique et sociétal, la neurodiversité questionne en profondeur les politiques publiques et les cadres réglementaires. Il devient essentiel de garantir l’égalité des droits en assurant la mise en place d’accommodements raisonnables dans les milieux scolaires, professionnels et sociaux. Cette démarche vise à reconnaître et à respecter les besoins spécifiques des personnes neurodivergentes, tout en combattant le capacitisme, soit la tendance à discriminer sur la base d’une norme neurologique dominante (Branicki et al., 2024; Taylor et al., 2022; Hedley et al., 2019).

Dans le domaine du travail social, la reconnaissance de la neurodiversité transforme les pratiques d’intervention. Le milieu professionnel dans son ensemble est appelé à adopter une posture inclusive, centrée sur les forces, les aspirations et les besoins spécifiques des personnes neurodivergentes (Spoor et al., 2022). Cela suppose de développer des approches personnalisées, de soutenir l’autodétermination et de remettre en question les mécanismes institutionnels de stigmatisation. En ergonomie, la prise en compte de la neurodiversité conduit à repenser les environnements de travail pour les rendre plus accessibles et mieux adaptés aux différents profils cognitifs. Cela peut se traduire par des ajustements dans l’aménagement des espaces, une gestion réfléchie des stimulations sensorielles, une plus grande flexibilité des horaires ou encore l’intégration de technologies facilitant la concentration, la communication et l’organisation (Smith et Kirby, 2021).

Approches pluridisciplinaires et axes de contribution

Ce numéro thématique accueille des contributions issues de disciplines variées, qu’elles soient sociales, psychologiques, éducatives, administratives, juridiques ou technologiques, afin d’explorer les multiples facettes de ce champ émergent. Nous proposons ci-dessous une liste non exhaustive de thématiques susceptibles d’alimenter ce dossier spécial. Cette sélection vise à illustrer la diversité des perspectives possibles, sans pour autant restreindre les approches. Les propositions pourront s’appuyer sur des démarches empiriques ou théoriques. Nous encourageons particulièrement les approches interdisciplinaires, les analyses critiques ainsi que les contributions innovantes. Cet appel de textes s’adresse à un public académique et vise à nourrir un dialogue pluridisciplinaire autour de la neurodiversité, dans le but de contribuer à l’enrichissement des savoirs et à l’évolution des pratiques d’inclusion.

Les propositions pourront notamment porter sur :

  • Représentations sociales de la neurodiversité et expériences vécues des personnes neurodivergentes;
  • Inclusion des neurominorités sur le lieu de travail : obstacles et bonnes pratiques;
  • Enjeux juridiques et politiques publiques : droits, accessibilité et évolutions réglementaires;
  • Analyses critiques du paradigme de la neurodiversité : controverses et points de tension;
  • Technologies et conception inclusive : intelligence artificielle et considérations éthiques dans la promotion ou l’entrave à l’inclusion;
  • Approches innovantes pour soutenir la neuro-inclusion : outils, dispositifs et méthodologies;
  • Parcours professionnels et trajectoires de vie des personnes neurodivergentes;
  • Rôle des acteurs tiers dans la promotion de la neurodiversité au travail: Analyse de l’impact des coachs, organismes d’aide à l’emploi et programmes gouvernementaux sur l’inclusion professionnelle.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Austin, R.D. & Pisano, G.P. (2017). Neurodiversity as a competitive advantage. Harvard Business Review, 95(3), 96–103.

Ballesteros-Leiva, F. & St-Onge, S. (2024). Neurodiversity at work. In Encyclopedia of Equality, Equity, Diversity and Inclusion. Elgar Encyclopedias in Business and Management series.

Branicki, L. J., Brammer, S., Brosnan, M., Lazaro, A. G., Lattanzio, S., & Newnes, L. (2024). Factors shaping the employment outcomes of neurodivergent and neurotypical people: Exploring the role of flexible and homeworking practices. Human Resource Management. https://doi.org/10.1002/hrm.22243

Bruyère, S. M. & Colella, A. (Eds.). (2022). Neurodiversity in the Workplace: Interests, Issues, and Opportunities. Taylor & Francis.

Doyle, N. (2020). Neurodiversity at work: a biopsychosocial model and the impact on working adults. British Medical Bulletin. DOI:10.1093/bmb/ldaa021

Gottardello, D., Calvard, T., & Song, J. W. (2025). When Neurodiversity and Ethnicity Combine: Intersectional Stereotyping and Workplace Experiences of Neurodivergent Ethnic Minority Employees. Human Resource Management. https://doi.org/10.1002/hrm.22286

Hedley, D., Uljarević, M., Bury, S. M., & Dissanayake, C. (2019). Predictors of mental health and well-being in employed adults with autism spectrum disorder at 12-month follow-up. Autism Research, 12(3), 482–494. https://doi.org/10.1002/aur.2064

Honeybourne, V. (2019). The Neurodiverse Workplace: An Employer’s Guide to Managing and Working with Neurodivergent Employees, Clients and Customers. Jessica Kingsley Publishers.

Kersten, A., Scholz, F., van, M., Krabbenborg, M., & Smeets, L. (2024). A Strengths-Based Human Resource Management Approach to Neurodiversity: A Multi-Actor Qualitative Study. Human Resource Management. https://doi.org/10.1002/hrm.22261

Khayatzadeh-Mahani, A., Wittevrongel, K., Nicholas, D. B., & Zwicker, J. D. (2020). Prioritizing barriers and solutions to improve employment for persons with developmental disabilities. Disability and Rehabilitation, 42(19), 2696–2706. https://doi.org/10.1080/09638288.2019.1570356

Martin, V. & Lanovaz, M. J. (2021). Program evaluation of a community organization offering supported employment services for adults with autism. Research in Autism Spectrum Disorders, 82(January). https://doi.org/10.1016/j.rasd.2021.101741

Scott, M., Jacob, A., Hendrie, D., Parsons, R., Girdler, S., Falkmer, T., & Falkmer, M. (2017). Employers’ perception of the costs and the benefits of hiring individuals with autism spectrum disorder in open employment in Australia. PLoS ONE, 12(5), 1–16. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0177607

Scott, M., Milbourn, B., Falkmer, M., Black, M., Bӧlte, S., Halladay, A., … Girdler, S. (2018). Factors impacting employment for people with autism spectrum disorder: A scoping review. Autism. https://doi.org/10.1177/1362361318787789

Smith, A. & Kirby, T. (2021). Neurodiversity at work: Drive innovation, performance and productivity with a neurodiverse workforce.

Spoor, J. R., Flower, R. L., Bury, S. M., & Hedley, D. (2021). Employee engagement and commitment to two Australian autism employment programs: associations with workload and perceived supervisor support. Equality, Diversity and Inclusion. https://doi.org/10.1108/EDI-05-2020-0132

Taylor, J. L., Adams, R. E., Pezzimenti, F., Zheng, S., & Bishop, S. L. (2022). Job loss predicts worsening depressive symptoms for young adults with autism: A COVID-19 natural experiment. Autism Research, 15(1), 93–102. https://doi.org/10.1002/aur.2621